Allocution spéciale du Gyalwang Karmapa au 37e Kagyu Meunlam à Bodhgaya, le 8 Février 2020
Tout d’abord, je voudrais saluer tous ceux qui participent à ce 37e Kagyu Meunlam : Son Éminence Goshir Gyaltsap Rimpoché, qui préside le Meunlam ; Kyabjé Zurmang Gharwang Rimpoché, Kyabjé Mingyour Rimpoché, Kyabjé Bokar Yangsi Rimpoché et tous les autres lamas et tulkous ; Khèmpo Lodreu Deunyeu Rimpoché et tous les autres khèmpos et acharyas ; la vaste assemblée de la sangha ; tous les membres du public, religieux et laïques, venus du monde entier qui se sont réunis ici, et tous ceux qui écoutent ceci sur internet.
Je voudrais aussi exprimer mes félicitations et mes Tashi Delek à l’issue de ce 37e Kagyu Meunlam, qui a été vertueux au début, au milieu et à la fin. Ce Meunlam s’est ouvert avec trois jours d’enseignements et les instructions de méditation excellentes prodiguées par Kyabjé Mingyour Rimpoché, érudit et pratiquant, qui a donné des conseils directs, pratiques et faciles à comprendre par tous. Puis, pendant le Kagyu Meunlam, Son Éminence Gyaltsap Rimpoché a donné des enseignements sur les Soixante-douze Exhortations du maître Kadampa Kharak Gomchung, qui sont en fait un enseignement sur les étapes du chemin, sous forme versifiée. De nos jours, ce texte est rarement enseigné, aussi le recevoir de Rimpoché avec des instructions profondes qui vont à l’essentiel est une grande chance dont nous devons être heureux et nous réjouir.
Également, comme le souhaitaient depuis longtemps Khèmpo Lodreu Deunyeu et toutes les personnes concernées, hier, pendant ce Meunlam et dans ce lieu sacré, Kyabjé Vajradhara Bokar Yangsi Rimpoché a reçu de Son Éminence Gyaltsap Rimpoché, incarnation de l’apprentissage, de l’éthique et de la bonté, les vœux d’engagement de ‘barma rabjoung’. Le fait que Yangsi Rimpoché revête ici pour la première fois les robes safran du moine doit être considéré comme un événement important de ce Meunlam, et je le vois comme significatif dans l’histoire de la lignée.
Ce que nous connaissons à l’heure actuelle comme le Kagyu Meunlam vit ses débuts avec le précédent Kyabjé Kalou Rimpoché, puis se poursuivit avec le précédent Kyabjé Bokar Rimpoché. Ainsi, j’ai bon espoir que Yangsi Rimpoché poursuivra les aspirations de son prédécesseur et qu’il sera celui qui continuera de préserver et de soutenir ce Meunlam quand il en aura l’âge.
L’an dernier (selon le calendrier occidental), deux lamas Kamtsang Kagyu âgés vivant hors du Tibet, Bagyod Rimpoché et Khèmpo Karthar Rimpoché, sont décédés. Ils étaient disciples du 16e Karmapa et tous deux ont grandement servi les enseignements dans un esprit pur et altruiste. Quand Bagyod Rimpoché a fui le Tibet en 1959, il a réussi à emporter avec lui de nombreux objets sacrés et objets rituels, malgré toutes les difficultés rencontrées. Il n’a rien gardé mais a tout donné à Gyalwang Rigpé Dorjé, et ces objets sont encore très largement utilisés aujourd’hui au monastère de Roumtek pendant Tsechu, Gutor et d’autres rituels importants. De même, il a établi un campement tibétain dans le Sud de l’Inde ; il y était comme un parent, il a pris soin du monastère et de la communauté et les a fait grandir. Il est aussi bien connu qu’il avait obtenu de grands pouvoirs par sa pratique de Manjoushri Yamantaka. Rimpoché est maintenant décédé, mais tout comme le soleil d’aujourd’hui brillera à nouveau demain, il ne fait aucun doute que sa réincarnation va venir. J’aurai l’entière responsabilité de sa reconnaissance, aussi ne vous inquiétez pas.
Également, pour répondre aux souhaits du 16e Karmapa, Khèmpo Khartar Rimpoché était allé à Karma Triyana Dharmachakra en Amérique, où il a vécu plusieurs décennies, travaillant inlassablement jour et nuit afin de fonder un centre du dharma et un centre de retraite. Il a beaucoup voyagé pour enseigner le dharma et pour donner des instructions. Ses accomplissements pour les enseignements étaient bien supérieurs à ceux de nombreuses personnes qu’on appelle tulkous de nos jours.
Au cours de ce Kagyu Meunlam, pendant les Offrandes aux gourous, nous avons prié pour réaliser les aspirations et les souhaits de ces deux grands lamas qui ont disparu et nous leur avons fait de vastes offrandes. Le plus important est de ne pas oublier de prier le gourou, de ne pas oublier de pratiquer ses instructions et de ne pas oublier de faire le bien des êtres ; ainsi, nous accomplirons les aspirations du gourou. C’est en faisant ceci que nous nous éveillons à l’état de bouddha et rendons la bonté des êtres.
En bref, ce Kagyu Meunlam s’est déroulé de façon significative et auspicieuse. Ceci est dû essentiellement à Son Éminence Gyaltsap Rimpoché qui a présidé le Meunlam, et aussi grâce à la compassion de Kyabjé Zurmang Rimpoché, de Kyabjé Mingyour Rimpoché, et de tous les lamas, tulkous, grands êtres, khèmpos et maîtres spirituels. C’est aussi grâce aux bénédictions de plusieurs milliers de membres de la sangha qui ont uni leurs esprits en les dirigeant vers le dharma. Tous les participants, religieux et laïques, ont fait des prières et des souhaits dans la même intention. La nature des choses fait que, grâce à ceci, les résultats seront auspicieux même si l’intention ne l’est pas, et nous accomplirons quelque chose même sans le vouloir. Je voudrais en particulier profiter de cette occasion pour remercier tous les bénévoles et les gurusevakas de ce Meunlam. Nombreux sont ceux parmi vous qui sont au service du Meunlam depuis plus de dix ans. Je m’en réjouis du fond du cœur et ressens une profonde gratitude.
Un meunlam ou souhait, ce n’est pas juste dire : « Qu’il en soit ainsi! » C’est quelque chose que nous devons mettre en pratique et soutenir. Dans le Mahayana, on parle de bodhicitta ; c’est tout d’abord un souhait. Sans cela, il n’est point de bodhisattva, encore moins de bouddha. Il nous faut voir si nous pouvons maintenir notre bodhicitta et nos souhaits jusqu’à l’obtention de l’essence de l’éveil ou de l’état de bouddha. Il y a deux types de bodhicitta : intentionnelle et engagée. Quand nous travaillons pour le Kagyu Meunlam, il s’agit je pense de la bodhicitta engagée. Aussi j’aimerais vous demander à tous de ne pas vous décourager. Ayez confiance, trouvez l’énergie dans votre corps et continuez votre bon travail.
J’aimerais vous demander de réunir toutes les vertus que nous avons générées pendant ce grand Meunlam, de les combiner à toutes les vertus accumulées dans les trois temps et de les dédier de sorte que les enseignements du bouddhisme fleurissent et que les êtres soient heureux. Plus particulièrement, veuillez dédier toutes ces vertus afin que Sa Sainteté le Dalaï-Lama, qui pour nous Tibétains est comme nos yeux et notre cœur, vive longtemps et que ses souhaits se réalisent spontanément. Veuillez dédier toutes ces vertus afin que les grands êtres qui détiennent les grandes lignées du dharma et aussi celle du Yungdrung Bœn vivent longtemps afin que leurs activités s’épanouissent.
En particulier, veuillez dédier ces vertus pour que, grâce à l’enseignement, la pratique et l’activité par l’union du renoncement et de la dévotion, la glorieuse tradition Dakpo Kagyu s’accroisse comme les rivières se gonflent en été. Nous prions aussi pour que toutes les lignées Kagyu - les Drikoung, Takloung, Droukpa, Barom, Yelpa, Kamtsang etc. - soient en harmonie et gardent des samayas purs. Que les êtres qui détiennent les enseignements soient en harmonie, qu’ils fassent toujours l’éloge les uns des autres, et que les bienfaiteurs des enseignements voient leur mérite s’accroitre.
Priez pour que toutes les dégénérescences dans le monde, telles que la maladie, la famine et la guerre, soient pacifiées. En particulier, depuis plus de quatre mois - depuis septembre dernier jusqu’à ce mois de janvier - de terribles feux de forêt ravagent l’Australie, brûlant des forêts de la taille de la Corée du Sud, et tuant des dizaines de millions d’animaux, à ce qu’on rapporte. Également, une maladie contagieuse très grave frappe la Chine et a tué plus de 600 personnes, avec des dizaines de milliers de patients dans un état critique. Ceci a provoqué une grande peur et des difficultés pour tous dans le monde entier. Il est enseigné que la cause principale de ceci se trouve dans le mal qui est fait aux animaux sauvages. Ainsi, selon nos capacités, nous devrions arrêter de manger de la viande pendant un mois, un an ou le reste de notre vie. Même si on trouve qu’on doit manger de la viande d’animaux domestiques, il vaut mieux ne pas manger la chair d’animaux sauvages. Il va aussi sans dire que, quel que soit le tort - grand ou petit - que nous causons à la vie d’un autre être, il est la cause des difficultés dont nous ferons nous-même l’expérience tôt ou tard. En bref, je vous demande de bien vouloir faire des dédicaces et des souhaits afin que votre propre bien et celui des autres s’accomplissent spontanément et sans effort conformément au dharma.
J’aimerais aussi profiter de cette occasion pour dire quelques mots de ma situation. Je suis en quelque sorte en retraite. Ma santé s’est améliorée, j’ai perdu du poids et je suis assurément heureux. Ce que je voudrais expliquer aujourd’hui, ce sont les deux choses que j’aimerais accomplir ou faire pendant que je suis en retraite.
En premier lieu, le Précieux Ornement de la Libération est l’œuvre la plus importante écrite par le roi du dharma, Gampopa. C’est le seul texte sur le lam rim ou chemin progressif qui enseigne l’union des lignées du Mahamoudra et des Kadampa. Je cherche un commentaire sur le sujet depuis longtemps, mais il est difficile de trouver des commentaires anciens complets. Il y a quelques instructions par Zurmang Lekshé Drayang, mais il n’a pas écrit de commentaire direct sur les mots ou leur sens, et ce texte aussi est incomplet.
Récemment, j’ai obtenu un commentaire sur le Précieux Ornement par Pawo Tsuglak Trengwa, mais le texte est étudié essentiellement du point de vue des histoires. Il existe également Révéler le sens caché de Khèmpo Lodreu Deunyeu, Résoudre les doutes de Dzigar Khèmpo Trinlé Dorjé, et des notes par un khèmpo Drikoung. Mais il ne semble pas y avoir de commentaire complet.
Ces dernières années, nous avons fait des conférences sur le Précieux Ornement au cours desquelles nous avons entrepris des recherches détaillées sur ce texte profond et fondamental des Dakpo Kagyu, en comparant les éditions, recherchant les sources des citations et éclairant les points difficiles. Il a été de ma responsabilité de vérifier les résultats des recherches faites par les participants, de tout revoir soigneusement et de compiler l’ensemble pour en faire un commentaire majeur sur le Précieux Ornement, qui commente à la fois le texte et le sens. En général, je n’ai ni la confiance ni l’éducation pour écrire un tel ouvrage majeur, mais comme le dit un proverbe tibétain : ‘quand tu n’as pas de pieds pour marcher, tu dois clopiner sur les genoux’. Si je ne l’écris pas, il sera difficile de trouver quelqu’un pour le faire. Aussi j’espère que même si je n’arrive pas à terminer tout le commentaire pendant que je suis en retraite, je pourrai au moins en finir la moitié.
Le deuxième point est que, pendant que je suis à l’étranger, il est un peu plus facile d’avoir l’occasion de rencontrer Gyalwa Thayé Dorjé. Je l’ai maintenant rencontré deux fois. Au cours de la première rencontre, nous avons appris à nous connaître et avons établi la confiance. Le sujet de notre deuxième rencontre a été la réincarnation de Kunzik Shamar Rimpoché. A cette occasion, nous avons collaboré pour écrire conjointement une prière de longue vie pour Shamar Rimpoché. Il y avait essentiellement deux raisons à cela.
La première est que cela fait environ cinq ans que Shamar Rimpoché est décédé et donc la réincarnation a probablement déjà repris naissance. Si nous pensons aux signes et aux connexions, il vaut mieux réciter une prière de longue vie que de continuer à réciter la prière pour son prompt retour, aussi avons-nous écrit cette prière.
La deuxième raison est que, à l’avenir, il est extrêmement important que la réincarnation de Shamar Rimpoché soit reconnu sans erreur ni confusion, sans ‘notre côté’ ou ‘leur côté’. Une reconnaissance unanime est absolument cruciale pour le bouddhisme en général et notre lignée en particulier ; avec ceci à l’esprit, Gyalwa Thayé Dorjé et moi-même avons l’intention de coopérer dans la recherche et la reconnaissance. La prière illustre cet engagement.
L’intérêt que je porte à la réincarnation de Shamar Rimpoché est une façon de suivre l’exemple de l’activité de Gyalwang Rigpé Dorjé. Le 10e Shamar, Cheudroup Gyatso, fut accusé d’avoir été à la tête des armées Gorkha qui sont entrées au Tibet au 18e siècle ; à cause de cela, quand il est mort, le gouvernement tibétain a interdit l’intronisation des réincarnations de Shamar Rimpoché. Pendant plus de 170 ans, les réincarnations de Shamar Rimpoché n’ont pas pu être reconnues publiquement.
Puis, après la fuite vers l’Inde en 1959, le 16e Karmapa a demandé la permission à Sa Sainteté le Dalaï-Lama de reconnaître et d’introniser Shamar Rimpoché. Parmi tous les grands lamas, contemporains ou passés, qui détiennent les enseignements des Kamtsang Kagyu, il n’y en a pratiquement aucun qui n’ait pas été reconnu par le 16e Karmapa. Nous n’avons pas de doutes ou de soupçons à leur sujet ; il en est de même pour Shamar Rimpoché. Non seulement cela, mais il va sans dire que le 16e Karmapa a fait beaucoup d’efforts pour le reconnaître, ce qui doit avoir une signification particulière. Et ceci mène une personne ordinaire comme moi à penser : si Gyalwang Rigpé Dorjé a déployé autant d’efforts, alors ce doit être très important.
Voici ce qu’a écrit Kunzik Jamyang Khyèntsé Wangpo à propos du 10e Shamar dans son histoire des traditions Nyingma et Sarma des tantras : « Cependant, personne ne peut vraiment bloquer l’activité permanente, singulière et omniprésente que les bouddhas entreprennent spontanément. » Comme Jamyang Khyèntsé Wangpo l’a écrit, un obstacle a bien surgi pour l’activité du 10e Shamar. La reconnaissance de sa réincarnation a été interdite et son monastère Yangpachen a été converti en monastère Gelouk. Mais finalement, les obstacles n’ont pas pu le bloquer, les réincarnations ont à nouveau été reconnues et le monastère Yangpachen a été rendu aux Kagyu. Également, il y a eu des obstacles extérieurs et intérieurs à l’activité du précédent Shamar, Mipam Cheuky Lodreu, mais ces obstacles n’étaient pas seulement pour lui seul ; je pense que c’était des obstacles pour toute notre lignée Kamtsang Kagyu. Quand des obstacles apparaissent, vous devez faire quelque chose pour les dissiper ; abandonner, c’est céder aux obstacles, et comment ceci peut-il être juste ?
Je vois la réincarnation de Shamar Rimpoché comme un point crucial pour ramener l’unité dans la lignée Kamtsang et je déploie des efforts en ce sens. Si la réincarnation de Shamar Rimpoché est contestée, à l’avenir tous les grands lamas Kamtsang seront contestés et la lignée Kamtsang sera complètement divisée. L’attachement et la haine seront les mêmes que dans une querelle qui dure plusieurs générations. Si nous tombons sous cette emprise, toute la majesté et la puissance de plus de 900 ans d’histoire seront détruites. Tel que je le vois, tout le monde méprisera et détestera la lignée Kamtsang, et on court le risque que, au final, il ne restera rien qu’on pourrait appeler les Karma Kamtsang.
Je pense qu’il est essentiel que nous repensions ce sujet, l’examinant dans une perspective plus large et avec une vue à long terme. Je ne suis qu’une petite personne qui parle de penser grand, mais il est encore trop tôt pour dire si les choses se passeront comme je l’espère. Le point principal est qu’il est important que tout le monde soutienne ceci et prie en ce sens.
Je n’ai rien à ajouter. Pour terminer, je souhaite que, dans cette nouvelle année, vous ayez une bonne santé, que vos activités du dharma s’accomplissent comme vous le souhaitez et que nous puissions nous revoir bientôt. Je vous remercie.